dimanche, novembre 05, 2006

♠ Petites réflexions d’Adoptée.
(aussi pour justifier du titre de mon blog, je ne vais pas vous parler que de Taiwan…)

Je suis inscrite dans le groupe d’une association qui officie autour de l’adoption en Corée, et je reçois des mails un peu agaçants.
Il y a ceux que l’adoption a marqués à vie, ils en sortent traumatisés, la blessure de l’abandon ne s’en ira jamais Et ceux qui se disent qu’être adopté est une force, une richesse, une chance de la vie.
Il y a les adoptés d’un côté, reconnaissants envers leurs parents adoptifs, ou accusateurs ; parce que les adoptants ont fait des erreurs comme tout autre parent, mais que quelque part ils se devaient d’être bien au-dessus de la moyenne, on se dit qu’après tout, ils ont été "soigneusement sélectionnés" par la Ddass et ont obtenu le "permis d’adopter" (l’agrément). Il y a donc les adoptants d’un autre côté.
Et parmi les adoptants, il y a les contents, et les déchantés, et les futurs adoptants, souvent autour de la quarantaine, assez soucieux parce que certains leur ont dit qu’ils étaient trop vieux, et que de toute façon aujourd’hui c’était assez fermé pour la Corée, il fallait voir ailleurs, et que ça devrait pas poser de problèmes parce qu’une personne qui adopte doit avoir le cœur généreux, alors il n’y a qu’à se tourner vers un petit Africain ou un petit Haïtien (sous entendu : vous êtes forcément racistes, à vous entêter ainsi à vouloir un bébé coréen). Alors les futurs adoptants se sentent perdus, désespérés.

Voilà donc que tout ce beau monde se fait des reproches croisés, ce qui fait bien avancer le schmilblick.

Une fille dit qu’elle ne se remet pas d’avoir été abandonnée et adoptée, plusieurs thérapies n’y ont rien changé. Elle n’a jamais eu de liens forts avec ses parents adoptifs, et sa mère biologique, qu’elle ne connaît pas, a plus de place dans son cœur.
Un gars lui répond violemment qu’au lieu de geindre, elle ferait mieux de considérer sa chance d’avoir été élevée en France et d’avoir des parents, qu’au lieu de ressasser le passé, elle ferait mieux de canaliser sa souffrance et d’en faire une force pour avancer demain. Il ajoute qu’il connaît un Cambodgien qui, quand il était enfant, a vu sa famille se faire mutiler à la machette, et ses sœurs violer par les Khmères Rouges ; et lui plutôt que de se plaindre, il a monté une PME et réussit sa vie.
Pour ma part, je trouve ce propos absurde. Oui une adoption peut être un traumatisme pendant toute une vie. Chaque adoption est particulière, chaque adopté le gère à sa manière. Certes il y aura toujours plus malheureux, bien plus malheureux même, pour autant ça nous interdirait de l'être nous aussi de temps en temps, ou plus souvent ? On ne va pas se lancer dans une compétition à qui est le plus malheureux et pour qui c'est le plus légitime de l'être. Chacun a le droit d'être triste, c'est au fond de lui et ça ne se contrôle pas.

Et puis de parler du besoin de retrouver ses parents biologiques. Certains en grandissant développent ce besoin, et d’autres non. Mais il n’y a pas les bons adoptés (dits d’adoption réussie) d’une part, et les ingrats de l’autre qui retournent en Corée, loin de leur famille adoptive, faire des recherches acharnées, y habiter des années et sans plus jamais revenir peut-être. C’est le débat de la "vraie mère". Parce que les "vrais parents" sont ceux qui nous ont élevés et choyés, pas ceux qui se sont contentés de fournir le capital génétique, les simples "géniteurs " en somme. Mais pour certains adoptés, le manque de leur mère biologique qu’ils considèrent comme leur "vraie mère" est tellement insoutenable, qu’il leur est impossible de construire leur vie, de se sentir "complets". Certains peuvent en venir à remettre en cause leur mère adoptive, qui n’a vraiment pas su être à la hauteur. J’exagère un peu, ça ne va pas si loin généralement.
C’est un combat intérieur, laquelle des mères est la "vraie", laquelle mérite le plus. On est en quête de repères, il faut classer, faire un top ten (top 2 en l’occurrence), il faut un premier et un dernier, un gagnant et un perdant. C’est un peu la société qui veut ça, qui nous pousse à vouloir ranger dans un ordre bien défini.
J’ai retrouvé ma mère coréenne en août dernier et j’ai un amour sans bornes pour elle. Je suis en souffrance d’être loin d’elle, loin de ma petite sœur Su-Jin ; déjà 21 ans de perdus avec l’une, 14 avec l’autre. Et la pensée de louper 6 mois de plus avec elles deux me fait pleurer.
On me dit que j’ai beaucoup de chances d’avoir retrouvé ma famille coréenne, mais qu’attention, il ne faudra pas oublier ma famille en France, mes parents qui m’ont élevée. Et j’ai beaucoup de mal à convaincre que d’avoir retrouvé ma famille coréenne, n’a rien changé du tout à ce que j’éprouve pour mes parents français.
Ma maman en France est la personne que j’aime le plus au monde, je ne voudrais pas que quelqu’un en doute. C’est un déchirement de partir de la maison bien sûr, et il y a quelque chose d’aberrant d’être à Taiwan, au milieu de nulle part, pas à la maison en France auprès de ma mère, et pas à Séoul non plus pour "rattraper un peu le temps perdu" avec mon autre mère.
"L’une ou l’autre mère" n’a aucun sens, c’est une vision restrictive de l’esprit, et du cœur ! On a assez de cœur pour aimer deux mères ; c’est un bonus, on n’a pas à y refourguer de la compétition. Comme on peut avoir plusieurs amis, plusieurs amours, aimer son père et sa mère avec la même intensité, ses enfants également…

Aussi, je hais le mot "génitrice", c’est d’une mocheté infernale. C’est blessant et c’est gratuit. Quelqu’un qui nous a donnés naissance, qui nous a accouchés, qui nous a portés 9 mois, n’est pas qu’une personne x parmi la flopée des personnes de ce monde. Ce n’est pas une question de sang, c’est un lien entre nous qui est différent de tous les autres et qui ne s’explique pas. Elle aurait pu tout aussi bien nous avorter, ou nous congeler dans un congélateur à Séoul, mais elle ne l’a pas fait, la mienne m’a confiée au travailleur social de Holt. Et puis une femme enceinte qui se trouverait dans des circonstances favorables, n’abandonnerait pas son enfant ; il faut que sa situation eût été à ce point mauvaise pour qu’elle en vienne à abandonner son enfant. Une femme lambda ne laisse pas son enfant la joie au cœur.

Je sais bien la chance que j’ai d’avoir pu grandir heureuse en France et d’avoir la possibilité aujourd’hui de redevenir un peu coréenne. Parce que les Adoptés coréens n’ont jamais eu de problème d’intégration en France, ils sont considérés comme des Français à part entière ; et parce que d’avoir de la famille en Corée et l’apparence coréenne m’offre l’opportunité de redevenir tout à fait Coréenne, après quelques efforts.

Pour en venir aux adoptants qui veulent adopter un enfant coréen, malgré "la pénurie", je ne trouve pas ça anormal d’avoir une préférence concernant la provenance de l’enfant. Et les dire racistes, c’est encore une accusation facile et gratuite.
J’aimerais bien adopter moi aussi dans plusieurs années, c’est une idée que j’ai depuis toujours comme suite logique de ma propre expérience d’adoptée. Et c’est naturellement que mon désir premier serait d’accueillir une petite fille chinoise ou un enfant coréen. Parce que j’ai plus d’affinités avec l’Asie, parce que je connais mieux l’Asie que l’Afrique ou l’Amérique latine. J’apprends à parler Chinois, je souhaite travailler avec l’Asie et pourquoi pas en Asie. Je connais mieux l’Histoire de la Chine ou les mœurs des sociétés asiatiques. Il me semble que si je peux élever mes enfants adoptifs en leur racontant ce que je connais de leur pays de naissance, en leur faisant partager mon intérêt pour l’Asie, c’est un mieux.

Adopter un enfant d’un pays lointain, c’est forcément un déracinement ; l’adoption internationale a ça de violent qu’elle nous enlève à une vie toute différente, qui dans la logique des choses, aurait due être la nôtre. Que d’avoir grandi en France plutôt que dans une Corée miséreuse des années 1980, soit une chance ou non, n’est pas la question.
Je sais bien que mon horizon aurait été plus réduit si j’avais grandi à Incheon avec ma mère coréenne : pas la perspective de faire des études, de voyager autant, de développer mon esprit critique et le nombre de mes centres d’intérêts. De ce point de vue, je reconnais ma chance d’avoir été adoptée en France. Mais ce n’est pas de quoi je parle.
Il y a quelque chose d’anormal dans le fait qu’on ait transportés de force dans une autre vie, qu’on nous ait changé notre nom, notre lieu de naissance. Parce que tous les adoptés de Corée sont considérés comme "nés à Séoul" sur leurs papiers d’identité, même si leur contrée natale est en fait Deagu ou Pusan. Et puis surtout on a changé notre nationalité, unilatéralement, comme si on n’avait plus le droit de cité parmi les Coréens. A l’âge de deux ans, on m’a retirée ma nationalité coréenne, je ne serai plus jamais citoyenne coréenne, y a qu’à mettre une croix là-dessus et puis c’est tout. C’est pas la fin du monde après tout, Arrête de geindre, comme dit Machin.

L’adoption internationale n’est pas idée très positive en soi. Si tous les pays étaient à égalité de richesse, chaque pays adopterait les enfants adoptés de leur propre pays, et ceux-ci seraient élevés dans la culture et sur la Terre de leurs ancêtres. C’est précisément parce qu’il y a des pays riches et des pays pauvres, que les premiers peuvent "s’offrir" les bébés qui n’ont pas trouvé preneur dans les seconds. C’est le marché monde, le jeu de l’Offre et de la Demande.
Si c’est un peu rude d’écrire ça, je précise que je parlais du principe global de l’adoption internationale. Je ne dis surtout pas qu’à l’échelle individuelle, l’adoption est moche, au contraire, je ne souhaite pas qu’on m’interprète de travers. Chaque expérience personnelle de l’adoption est une idée magnifique, une preuve de grande humanité ; c’est la réunion d’enfants qui voulaient des parents et de parents qui voulaient des enfants, comme le dit joliment une personne de Racines Coréennes, au-delà de blablas sur le sang et au-delà des frontières.
C’est faire preuve d’une grande générosité, de tolérance et d’ouverture, que d’adopter un enfant qui a la base n’est pas le sien, est de culture inconnue et donc plutôt hostile de premier abord.

Bien sûr, Madonna, Johnny ou la mode Angélina renforce l’idée qu’adopter, c’est un caprice de star, un achat de luxe.Un enfant, c’est un sac Fendi, j’exagère, c’est quand même plutôt un yacht + une résidence à Beverly Hills ; ils y mettent le prix, on peut pas leur reprocher.

3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

C'est très juste ce que tu écris. Et je trouve ton blog beau, touchant et merveilleusement bien écrit.

A bientôt.

Elise (en attente d'un petit bout de Chine...)

1:34 PM  
Blogger Laurianne said...

Simplement merci pour ces petits mots.

11:58 PM  
Anonymous Anonyme said...

coucou

Je suis tombée sur ton blog en chrechant le site de "racines coreennes" s il existe ! Je suis sophie , 35 ans , la soeur francaise d origine francaise de 2 freres et 2 soeurs dont 3 adoptés , dont 2 coréens . Euhh...suis je claire ???? Mes deux freres sont d origines coréennes. J est arrivé en Frnace à 4 ans et a maintenant31 ans , et D est arrivé en France a l age de 2 ans , il en a maintenant 26 . Ton blog me plait beaucoup . je reviendrai le lire plus longuement . En tout cas je me suis bcp interessée a ta reflexion sur la mère , la vraie , ou l autre , ou vice versa . Mes freres n aurons jamais le loisir de retrouver leur parents naturels , ayant été abandonnés sans "traces" . J ne s interesse pas a son histoire , d ailleurs la plupart de ses amis ne savent meme pas qu il est adopté . D est passionné par l Asie et la Corée , pas par nostalgie , ni par dépit , mais simplement par la culture et evidemment un peu ses racines . En allant en corée recemment , il a visité l orphlinat de Pusan ou il etait , a rencontré des soeurs ( je parle des religieuses) qui s etaient occupé de lui ( dont une se souvenait bien de ce petit bout a l epoque)Il a reussi a faire ouvrir son dossier et decouvrir une photo du trottoir ou il a été trouvé . Il est maintenant patissier , et partira , surement , faire decouvrir la patisserie francaise en Corée ou en Asie procahinement . Je t ai un peu raconté ma vie et Je ne suis pas sure que cela te passionne...j arrete donc là , je te souhaite bcp de bonheur dans toutes tes quetes ...

10:03 PM  

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